Text: John H. Ingram, “French,” The Raven with Literary and Historical Commentary (1885), p. 40-57


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[page 40, unnumbered:]

TRANSLATIONS.

——♦——

FRENCH.

NO foreign writer is so popular, and has been so thoroughly acclimatised in France, as Edgar Poe. This popularity and power is largely due to the translations and influence of Charles Baudelaire who has made his transatlantic idol a veritable French classic. Edgar Poe's influence upon literature, declares de Banville, is ceaseless and spreading, and as powerful as that of Balzac.

The Raven, despite the almost insurmountable difficulty of making anything like a faithful rendering of it into French, is a favourite poem in France. Again and again have well known French writers attempted to translate Poe's chef d’œuvre into their own tongue, but with varying success. They have as a rule to discard the rhymes, abandon the alliteration, and lose all the sonorous music produced by artistic use of the open vowel sounds; in fact, attempt to reconstruct the wonderful house of dreams without having any of the original materials out of which it was formed. To give a prose rendering of The Raven is, in every sense, to despoil it of its poetry. [page 41:]

Baudelaire, who has so deftly reproduced Poe's prose, has failed to render justice to his poetry; take, for example, his attempt to render French those magnificent lines of the eleventh stanza: —

‘Some unhappy master whom unmerciful disaster

Followed fast and followed faster till his songs one burden bore —

Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore

Of “Never, never more.” ’

Translated thus: —

‘Quelque maitre malheureux à qui 1’inexorable Fatalite a donne une chasse acharnee, toujours plus acharnee, jusqu’à ce que ses chants n’aient plus qu’un unique refrain, jusqu’à ce que les chants funebres de son Esperance aient adopte ce melancolique refrain:

“Jamais! Jamais plus!”

A very early rendering into French of The Raven was made by Monsieur William Hughes, and published by him in a volume entitled “Contes inedits d’Edgard Poe,” in 1862. As, probably, the first translation of the poem into any language it is interesting, but, for the present purpose it will only be necessary to cite the first and the two last stanzas: —

[[I.]]

Un soir, par un triste minuit, tandis que faible et fatigue, j’allais revant à plus d’un vieux et bizarre volume d’une science oubliee, tandis que sommeillant a moitie, je laissais pencher ma tete de çà, de là, j’entendis quelqu’un frapper, frapper doucement a la porte de ma chambre. “ C’est un visiteur,” murmuraije, “qui frappe à la porte de ma chambre —

Ce n’est que cela et rien de plus.” [page 42:]

XVII.

“Que ce mot, soit le signal de ton départ, oiseau ou de’mon!” criai-je en me redressant d’un bond. “Reprends ton vol a travers 1’orage, regagne la rive plutonienne! Ne laisse pas ici une plume noire pour me rappeler le mensonge que tu viens de proferer! Abandonne-moi a ma solitude, quitte ce buste audessus de ma porte; retire ton bee de mon cceur, retire ton spectre de mon seuil.”

Le corbeau re’pe’ta: “Jamais plus!”

XVIII.

Et le corbeau, immobile, demeure perch e, toujours perchd sur le buste blanc de Pallas, juste au-dessus de ma porte; son regard est celui d’un de’mon qui reve, et la lumiere de la lampe, qui 1’inonde, dessine son ombre sur le parquet; de cette ombre qui tremble sur le parquet, mon ame

Ne sortira jamais plus!

Another of the numerous translations into French of The Raven, and one which, for many reasons, deserves citation in full is that made by Stèphane Mallarmé, the poet, the translator of several of Poe's works. The magnificent folio form in which Monsieur Mallarmé introduced Le Corbeau to his countrymen, in 1875, was illustrated by Manet with several characteristic drawings. This rendering reads thus — [page 43:]

I.

Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais, faible et fatigue, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublie — tandis que je dodelinais la tete, somnolant presque: soudain se fit un heurt, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant a la porte de ma chambre — cela seul et rien de plus.

II.

Ah! distinctement je me souviens que c’etait en le glacial Decembre: et chaque tison, mourant isole, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour — vainement j’avais cherche d’emprunter a mes livres un sursis au chagrin — au chagrin de la Lenore perdue — de la rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lenore: de nom pour elle ici, non, jamais plus!

III.

Et de la soie 1’incertain et triste bruissement en chaque rideau purpural me traversait — m’emplissait de fantastiques terreurs pas senties encore: si bien que, pour calmer le battement de mon cceur, je demeurais maintenant a repeter “C’est quelque visiteur qui sollicite 1’entree, a la porte de ma chambre — quelque visiteur qui sollicite I’entre’e, a la porte de ma chambre; c’est cela et rien de plus.” [page 44:]

IV.

Mon ame devint subitement plus forte et, n’hesitant davantage “Monsieur,” dis-je, “ ou Madame, j’implore veritablement votre pardon; mais le fait est que je somnolais et vous vintes si doucement frapper, et si faiblement vous vintes heurter, heurter a la porte de ma chambre, que j’etais a peine sur de vous avoir entendu.” Ici j’ouvris, grande, la porte: les tenebres et rien de plus.

V.

Loin dans 1’ombre regardant, je me tins longtemps a douter, m’e’tonner et craindre, & rever des reves qu’aucun mortel n’avait ose rever encore; mais le silence ne se rompit point et la quietude ne donna de signe: et le seul mot qui se dit, fut le mot chuchote “Lenore!” Je le chuchotai — et un echo murmura de retour le mot “Lenore!” — purement cela et rien de plus.

VI.

Rentrant dans la chambre, toute mon ame en feu, j’entendis bientot un heurt en quelque sorte plus forte qu’auparavant. “Surement,” dis-je, “surement c’est quelque chose a la persienne de ma fenetre. Voyons done ce qu’il y a et explorons ce mystere — que mon cceur se calme un moment et explore ce mystere; c’est le vent et rien de plus.” [page 45:]

VII.

Au large je poussai le volet; quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux Corbeau des saints jours de jadis. II ne fit pas la moindre reverence, il ne s’arreta ni n’hesita un instant: mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre — se percha sur un buste de Pallas juste au-dessus de la porte de ma chambre — se percha, siegea et rien de plus.

VIII.

Alois cet oiseau d’dbene induisant ma triste imagination au sourire, par la grave et severe decorum de la contenance qu’il eut: “Quoique ta crete soit chue et rase, non!” dis-je, “tu n’es pas pour sur un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit — dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit?” Le Corbeau dit: “Jamais plus.”

IX.

Je m’emerveillai fort d’entendre ce disgracieux volatile s’enoncer aussi clairement, quoique sa reponse n’eut que peu de sens et peu d’a-propos; car on ne pent s’empecher de convenir que nul homme vivant n’eut encore 1’heur de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre — un oiseau ou toute autre bete sur la buste sculpte, au-dessus de la porte de sa chambre, avec un nom tel que: “Jamais plus.” [page 46:]

X.

Mais le Corbeau, perchd solitairement sur ce buste placide, parla ce seul mot comme si, son ame, en ce seul mot, il la re’pandait. Je ne profeVai done rien de plus: il n’agita done pas de plume — jusqu’a ce que je fis a peine davantage que marmotter “ D’autres amis de”ja ont pris leur vol — demain il me laissera comme mes Espe’rances deja ont pris leur vol.” Alorsl’oiseau dit: “Jamais plus.”

XI.

Tressaillant au calme rompu par une re*plique si bien parlee: “ Sans doute,” dis-je, “ ce qu’il profere est tout son fonds et son bagage, pris a quelque malheureux maitre que Pimpitoyable Desastre suivit de pres et de tres pres suivit jusqu’a ce que ses chansons comportassent un unique refrain; jusqu’a ce que les chants funebres de son Esperance comportassement le melancolique refrain de “Jamais — jamais plus.”

XII.

Le Corbeau induisante toute ma triste ame encore au sourire, je roulai soudain un siege a coussins en face de 1’oiseau et du buste et de la porte; et m’enfonçant dans le velours, je me pris a enchainer songerie a songerie, pensant a ce que cet augural oiseau de jadis — a ce que ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau de jadis signifiait en croassant: “Jamais plus.” [page 47:]

XIII.

Cela, je m’assis occupd a le conjecturer, mais n’adressant pas une syllabe a 1’oiseau dont les yeux de feu brulaient, maintenant, au fond de mon sein; cela et plus encore, je m’assis pour le deviner, ma tete reposant a 1’aise sur la housse de velours des coussins que devorait la lumiere de la lampe, housse violette de velours devore’ par la lumiere de la lampe qu’ ELLE ne pressera plus, ah! jamais plus.

XIV.

L’air, me sembla-t-il, devint alors plus dense, parfume selon un encensoir invisible balancd par les Seraphins dont le pied, dans sa chute, tintait sur 1’etoffe du parquet. “ Miserable,” m’dcriai-je, “ton Dieu t’a prete — il t’a envoye, par ces anges, le rdpit — le repit et le nepenthes dans ta memoire de Lenore! Bois! oh! bois ce bon ndpenthes et oublie cette Lenore perdue! “ Le Corbeau dit: “ Jamais plus! “

XV.

“Prophete,” dis-je, “etre de malheur! prophete, oui, oiseau ou de’nion! Que si le Tentateur t’envoya ou la tempete t’echoua vers ces bords, de'sole et encore tout indompte, vers cette deserte terre enchantee — vers ce logis par Fhorreur hante: dis-moi veritablement, je t’implore! y a-t-il du baume en Judee? — dis-moi, je t’implore.” Le Corbeau dit: “Jamais plus!” [page 48:]

XVI.

“Prophete,” dis-je, “etre de malheur! prophete, oui, oiseau ou de’mon! Par les Cieux sur nous epars — et le Dieu que nous adorons tous deux — dis a cette lime de chagrin charge’e si, dans le distant Eden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiee que les anges nomment Ldnore — embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Ldnore.” Le Corbeau dit: “Jamais plus!”

XVII.

“Que ce mot soit le signal de notre separation, oiseau ou malin esprit,” hurlai-je, en me dressant. “Recule en la tempete et le rivage plutonien de Nuit!” Ne laisse pas une plume noire ici comme un gage du mensonge qu’a profe’re’ ton ame. Laisse inviole mon abandon! quitte le buste au-dessus de ma porte! ote ton bee de mon cceur et jette ta forme loin de ma porte!” Le Corbeau dit: “Jamais plus!”

XVIII.

Et le Corbeau, sans voleter, siege encore — siege encore sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un demon qui reve, et la lumiere de la lampe, ruisselant sur lui, projette son ombre a terre: et mon ame, de cette ombre qui git flottante a terre, ne s’elevera — jamais plus!

STÈPHANE MALLARMÉ. [page 49:]

Many other translations, more or less interesting, have been made into French of The Raven, notably one by Monsieur Element, and another, which shall be quoted from, by Monsieur Quesnel. The most curious, however, in many respects, of these many renderings is an elegant one by Monsieur Maurice Rollinat, and as, probably, the only published attempt to place a rhymed translation of Le Corbeau before his countrymen should be given in full: —

Vers le sombre minuit, tandis que fatigue’

J’etais a mediter sur maint volume rare

Pour tout autre que moi dans 1’oubli relegue,

Pendant que je plongeais dans un reve bizarre,

Il se fit tout a coup comme un tapotement

De quelqu’un qui viendrait frapper tout doucement

Chez moi. Je dis alors, baillant, d’une voix morte: “

C’est quelque visiteur — oui — qui frappe a ma porte;

C’est cela seul et rien de plus!”

Ah! tres distinctement je m’en souviens!

C’e’tait Par un apre decembre — au fond du foyer pale,

Chaque braise a son tour lentement s’e’miettait

En brodant le plancher du reflet de son rale.

Avide du matin, le regard inde’cis,

J’avais lu, sans que ma tristesse cut un sursis,

Ma tristesse pour 1’ange enfui dans le mystere,

Que Ton nomme la-haut Lenore, et que sur terre

On ne nommera jamais plus! [page 50:]

Lors, j’ouvris la fenetre et voila qu’a grand bruit,

Un corbeau de la plus merveilleuse apparence

Entra, majestueux et noir comme la nuit.

Il ne s’arreta pas, mais plein d’irreverence,

Brusque, d’un air de lord ou de lady, s’en vint

S’abattre et se percher sur le buste divin

De Pallas, sur le buste a couleur pale, en sorte

Qu’il se jucha tout juste au-dessus de ma porte,

Il s’installa, puis rien de plus!

Et comme il induisait mon pauvre cceur amer

A sourire, 1’oiseau de si mauvais augure,

Par 1’apre gravite de sa poste et par 1’air

Profondement rigide empreint sur la figure,

Alors. me decidant a parler le premier:

“Tu n’es pas un poltron, bien que sans nul cimier

Sur la tete, lui dis-je, ô rodeur des tenebres,

Comment t’appelle-t-on sur les rives funebres?”

L’oiseau re’pondit: “Jamais plus!”

J’admirai qu’il comprit la parole aussi bien

Malgre cette rdponse a peine intelligible

Et de peu de secours, car mon esprit convient

Que jamais aucun homme existant et tangible

Ne put voir au-dessus de sa porte un corbeau,

Non, jamais ne put voir une bete, un oiseau,

Par un sombre minuit, dans sa chambre, tout juste

Au-dessus de sa porte install^ sur un buste,

Se nommant ainsi: Jamais plus! [page 51:]

Mais ce mot fut le seul qui 1’oiseau profera

Comme s’il y versait son ame tout entiere,

Puis sans rien ajouter de plus, il demeura

Inertement fige dans sa roideur altiere,

Jusqu’a ce que j’en vinsse a murmurer ceci:

— Comme tant d’autres, lui va me quitter aussi,

Comme mes vieux espoirs que Je croyais fideles

Vers le matin il va s’enfuir a. tire d’ailes!

L’oiseau dit alors: Jamais plus!

Et les rideaux pourpres sortaient de la torpeur,

Et leur soyeuse voix si triste et si menue

Me faisait tressailler, m’emplissait d’une peur

Fantastique et pour moi jusqu’alors inconnue:

Si bien que pour calmer enfin le battement

De mon coeur, je redis debout: “Evidemment

C’est quelqu’un attarde qui par ce noir decembre

Est venu frapper a la porte de ma chambre;

C’est cela meme et rien de plus.”

Pourtant, je me remis bientot de mon dmoi,

Et sans temporiser: “Monsieur,” dis-je, “ou Madame,

Madame ou bien Monsieur, de grace, excusez-moi

De vous laisser ainsi dehors, mais, sur mon ame,

Je sommeillais, et vous, vous avez tapote

Si doucement a ma porte, qu’en verite

A peine etait-ce un bruit humain que Ton entende!

Et cela dit, j’ouvris la porte toute grande:

Les tenebres et rien de plus! [page 52:]

Longuement a pleins yeux, je restai la, scrutant

Les te’nebres! revant des reves qu’aucun homme

N’osa jamais rever! confondu, hesitant,

Stupefait et rempli d’angoisse — mais, en somme,

Pas un bruit ne troubla le silence enchante

Et rien ne frissonna dans I’immobilite;

Un seul nom fut souffle’ par une voix: “Lenore!

C’dtait ma propre voix! — L’echo, plus bas encore

Redit ce mot et rien de plus!

Je rentrai dans ma chambre a pas lents, et, tandis

Que mon ame au milieu d’un flamboyant vertige

Se sentait defaillir et rouler, — j’entendis

Un second coup plus fort que le premier. — Tiens! dis-je

On cogne a mon volet! Diable! Je vais y voir!

Qu’est-ce que mon volet pourrait done bien avoir?

Car il a quelque chose! allons a la fenetre

Et sachons, sans trembler, ce que cela peut etre!

C’est la rafale et rien de plus!

Sa re’ponse jete’e avac tant d’a-propos,

Me fit tressaillir, “C’est tout ce qu’il doit connaitre,

Me dis-je, sans nul doute il aura pris ces mots

Chez quelque infortune, chez quelque pauvre maitre

Que le deuil implacable a poursuivi sans frein,

Jusqu’a ce que ses chants n’eussent plus qu’un refrain

Jusqu’a ce que sa plainte a jamais desolee,

Comme un deprofundis de sa joie envolee,

Eut pris ce refrain: Jamais plus! [page 53:]

Ainsi je me parlais, mais le grave corbeau,

Induisant derechef tout mon coeur a sourire,

Je roulai vite un siege en face de 1’oiseau,

Me demandant ce que tout cela voulait dire,

J’y reflechis, et, dans mon fauteuil de velours,

Je cherchai ce que cet oiseau des anciens jours,

Ce que ce triste oiseau, sombre, augural et maigre,

Voulait me faire entendre en croassant cet aigre

Et lamentable: Jamais plus!

Et j’etais la, plonge dans un reve obsedant,

Laissant la conjecture en moi filer sa trame,

Mais n’interrogeant plus 1’oiseau dont 1’oeil ardent

Me brulait maintenant jusques au fond de I’ame.

Je creusais tout cela comme un mauvais dessein,

Be’ant, la tete sur le velours du coussin,

Ce velours violet caresse par la lampe,

Et que sa tete, a ma Ldnore, que sa tempe

Ne pressera plus, jamais plus!

Alors l’air me semble lourd, parfume par un

Invisible encensior que balangaient des anges

Dont les pas effleuraient le tapis rouge et brun,

Et glissaient avec des bruissements etranges.

Malheureux! m’ecriai-je, il t’arrive du ciel

Un peu de nepenthes pour adoucir ton fiel,

Prends-le done ce rdpit qu’un seraphin t’apporte,

Bois ce bon nepenthes, oublie enfin la morte!

Le corbeau grinc.a: Jamais plus! [page 54:]

Prophete de malheur! oiseau noir ou ddmon,

Cirai-je, que tu sois un messager du diable

Ou bien que la tempete, ainsi qu’un goemon

Tait simplement jetd dans ce lieu pitoyable,

Dans ce logis hante par 1’horreur et 1’effroi,

Valeureux naufragd, sincerement, dis-moi

S’il est, s’il est sur terre un baume de Judde

Qui puisse encor guerir mon ame corrodee?

Le corbeau glapit: Jamais plus!

Prophete de malheur, oiseau noir ou demon,

Par ce grand ciel tendu sur nous, sorcier d’ebene

Par ce Dieu que benit notre meme limon,

Dis a ce malheureux damne charge” de peine,

Si dans le paradis qui ne doit pas cesser,

Oh! dis lui s’il pourra quelque jour embrasser

La precieuse enfant que tout son cceur adore,

La sainte enfant que les anges nomment Ldnore!

Le corbeau gemit: Jamais plus!

Alors, separons-nous! puisqu’il en est ainsi,

Hurlai-je en me dressant! Rentre aux enfers! replonge

Dans la tempete affreuse! Oh! pars! ne laisse ici

Pas une seule plume evoquant ton mensonge! —

Monstre! Fuis pour toujours mon gite inviole;

Desaccroche ton bee de mon cosur desole!

Va-t’en bete, maudite, et que ton spectre sorte

Et soit precipite’ loin, bien loin de ma porte!

Le corbeau rala: Jamais plus! [page 55:]

Et sur le buste austere et pale de Pallas,

L’immuable corbeau reste installe sans treve;

Au-dessus de ma porte il est toujours, helas!

Et ses yeux sont en tout ceux d’un demon qui reve;

Et 1’eclair de la lampe, en ricochant sur lui,

Projette sa grande ombre au parquet chaque nuit;

Et ma pauvre ame, hors du cercle de cette ombre

Qui git en vacillant — la — sur le plancher sombre,

Ne montera plus, jamais plus!

MAURICE ROLLINAT.

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Another of the many attempts to transfer to the French language Poe's poetic chef d’œuvre was made by Monsieur Leo Quesnel. This attempt, the translator did not claim any higher title for it, was published in la Revue Politiqite et Litteraire, and runs as follows: —

Le poete est, pendant une sombre nuit de decembre, assis dans bibliotheque, au milieu de ses livres, auxquels il demande vainement 1’oubli de sa douleur. Une vague somnolence appesantit ses yeux rougis par les larmes.

Un leger bruit le reveille. C’est quelqu’un qui frappe a la porte, sans doute? Que lui importe? Sa tete retombe.

Un autre bruit se fait entendre. C’est la tapisserie que, du dehors; quelqu’un souleve peut-etre? Que lui importe? II se rendort. [page 56:]

On frappe encore: “Entrez!” dit-il; mais personne n’entre. II se leve enfin et va voir a la porte. Il n’y a rien que la silence.

Il se rassied, anxieux et surpris. Nouvel appel du visiteur myste’rieux et invisible! Imposant silence a son cceur, tout rempli de 1’image de Ignore: “ II faut,” dit-il, “ Que je de’couvre ce mystere! Ah! £’est le vent qui ge’missait, je pense! “ Et il ouvre la porte toute grande pour lui livrer passage.

Un gros corbeau, battant des ailes, entre aussitot, comme le maitre du lieu, et va se percher sur un buste de Minerve. Son air grave arrache un sourire au jeune homme melancolique: “Oiseau d’dbene,” lui dit-il, “quel est ton nom sur le rivage de Pluton?”

Et le corbeau répond: “Nevermore.”

Etonnd d’une rdponse si sage, le poete lui dit: “Ami inconnu, tu me quitteras demain comme les autres, peut-etre?”

Mais le corbeau re’pond: “Nevermore.”

“Ah! “ sans doute, oiseau, tu ignores le sens du mot que tu prononces? Et c’est de quelque maitre afflige comme moi, qui avait, lui aussi, perdu a jamais son bonheur, qui t’a appris a dire: “Nevermore?” Ah! Lenore, toi qui foulais ce tapis que je foule, qui touchais ces coussins que je touche, qui animais ces lieux de ta presence, n’y reviendras-tu plus? “

Et le corbeau repond: “Nevermore.” [page 57:]

Une fumee d’encens rdpand dans la chambre, sortie d’un encensoir qu’un seraphin balance. “C’est ton Dieu qui 1’envoie, sans doute, pour endormir par ce parfum, dans ma memoire, le nom douloureux de Ignore?”

Et le corbeau repond: “Nevermore.”

“Prophete de malheur, ange ou de”mon, que la tempete a secoue sur ces rives, dis-mois, je t’en supplie, si 1’on trouve en enfer le baume de 1’oubli?”

Et le corbeau repond: “Nevermore.”

“Oh! dis-moi si dans le ciel Tame d’un amant desole peut-etre unie un jour a Tame d’une vierge sainte que les anges appellant Lenore?”

Et le corbeau repond: “Nevermore.”

* * * * *

Et jamais le corbeau n’est descendu de ce buste de Minerve, dont il couronne le front pensif. Ses yeux de demon s’enfoncent sans cesse dans les yeux du poete. Son spectre, agrandi chaque nuit par la lumiere des lampes, couvre les murs et les planchers, et 1’amant infortune ne lui echappera plus! Nevermore.

LEO QUESNEL.


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Notes:

None.

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[S:0 - RWLHC, 1885] - Edgar Allan Poe Society of Baltimore - Bookshelf - The The Raven with Literary and Historical Commentary (J. H. Ingram) (French)